LES ENFANTS
On ne m’a pas parlé du théâtre jeune public lors de mes études au TNS. D’ailleurs, c’était un peu moins chic à l’époque et il y a beaucoup de gens snobs sur terre. Moi, je n’y connaissais rien mais n’avais aucun a priori idiot. Alors quand Joël Jouanneau m’a proposé, dès l’école finie, de travailler avec lui, j’ai plongé sans hésitation dans le continent de l’enfance. Et je dois dire qu’assez vite, je me suis dit qu’en fait, pratiquer le théâtre jeune public avec éthique était la manière la plus politique d’exercer mon métier.
Certains détestent jouer devant des enfants parce que ce sont des punks. Ils se foutent des codes - ce qui est parfois déstabilisant. Ils ne sont pas polis (ni comme des galants ni comme des galets). Mais puisqu’ils se foutent des codes, ce sont les plus forts en poésie.
Non, les textes de Joël ne sont pas fastoches. Oui, les histoires peuvent être sombres. Mais qui, à votre avis, vous dit que le texte est trop compliqué ou que les histoires sont trop tristes? Et bien pas les enfants mais les grands qui pensent à leur place.
Les contes d’Andersen sont d’une tristesse infinie, ceux des frères Grimm sont terrifiants et ceux d’Oscar Wilde font de votre cœur un océan de larmes. Les histoires qui font peur sont utiles, les histoires qui font pleurer sont nécessaires, parce qu’en chacun de nous se tapit le mot tristesse et qu’en chacun de nous palpite le mot peur. Les histoires leur donnent une forme - et le plus important de tout cela, c’est que les histoires ont une fin (et ça, ça fait du bien).
Les mots de Joël Jouanneau sonnent justes mais ne marchent pas droit - ils font des croche-pattes. Là encore, les enfants sont les plus agiles et ceux qui trébuchent le plus sont souvent les grands.
Au Québec, qui est aussi mon pays, croche veut dire de travers. Et bien moi, dans la vie, je parle tout croche. Sur scène, je peux faire miens des alexandrins et je suis une comédienne qui articule très bien. Mais dans la vie, patatras, c’est le chaos (on m’a même reproché: « C’est fatigant, sur scène on comprend tout mais dans la vie, tu ne fais plus aucun effort »). Peut-être est-ce pour cela qu’un jour j’ai dit à Joël: « Je me sens dans tes mots comme dans une maison. »