LES DESSINS

FAIRE UN DESSIN, C’EST DÉJÀ RACONTER UNE HISTOIRE

AVANT LES MOTS ET AU-DELÀ DES CODES

Imaginons un enfant qui s’isole, concentré avec un sérieux qui force l’admiration sur une feuille dont le blanc ne l’effraie pas, riche d’un trésor de pastels en morceaux. Puis l’enfant vient vous voir, des taches de feutre sur les joues comme un maquillage de sioux, pour vous montrer son dessin (si vous n’êtes pas allé l’embêter avant pour lui demander ce qu’il faisait).

Et le voilà qui vous explique tout ce que vous ne savez pas voir et tout ce que vous voyez de travers. À partir d’un seul dessin, l’enfant peut vous raconter un univers fantastique aux détails foisonnants mais aussi vous raconter sa vie de tous les jours et à quoi ressemble son réel à lui.

Tous les enfants le savent, donc, faire un dessin est le meilleur moyen de raconter ce que l’on vit et ce que l’on rêve. Cela tombe bien, je suis d’accord et j’adore dessiner. Et j’adore le théâtre, un lieu magique où l’on peut bricoler en plus grand que grand.

Pour la création de Sous un manteau de neige, je suis donc allée piocher dans les centaines de dessins que j’ai fabriqué ces dernières années. Mes contrées imaginaires sont fracturées par de hautes montagnes, regorgent de forêts et sont peuplées de femmes-oiseaux — j’avais donc déjà beaucoup d’alliés de papier. Et puis je me suis mise à dessiner en rêvant pour ce spectacle, c’est à dire en songeant à l’histoire, à l’équipe, à la scénographie, à la vidéo.

Mais je ne dessine pas seulement les images que l’on retrouvera sur scène — j’ai peur, si tel était le cas, de ne plus dessiner que de manière utilitaire et que le dessin fait dans la solitude ne soit plus qu’un brouillon à échelle réduite. Alors pour ne pas ramollir mon imaginaire, je dessine et dessine et dessine tout ce qui me permet d’explorer l’univers sensible et esthétique de ce spectacle naissant.

Voici donc quelques unes de ces images, quelques rêveries autour de Mère Ourk, de la forêt du Jadis, des couleurs des voyelles et bien plus encore…

“C’est une jeune comédienne, Valentine Alaqui. D’exception je l’affirme, et entre deux tournages ou deux plateaux de théâtre, elle s’éclipse au loin et voyage en sa seule compagnie, c’est parfois déjà beaucoup, aime-t-elle à dire. Ou alors elle se referme chez elle comme une huître et dessine, telle une forcenée, des oiseaux, des femmes-arbres, des guerriers, qui sont le miroir de ses états d’âme. Cela vaut d’être analysé.

C’est une guerrière, Valentine Alaqui, elle mène des batailles picturales intimes contre elle-même afin d’y voir plus clair, devient sauvage, oiseau, arbre, forêt, calligraphie ou envol, et parfois elle chute puis renaît, on peut aller la déranger quand elle travaille, elle sait recevoir, elle est plus solaire que ce qu’elle dessine, et ce qu’elle dessine remue celui ou celle qui passe.”

Joël Jouanneau